mardi 16 décembre 2014

Crève

Crève

Nul doute que nos espaces intimes de liberté aient toujours été la cible privilégiée de l’avidité hégémonique et compulsive des marchands de tout poil. Leurs propagandes suivent toutes à peu près la même logique implacable d’appropriation : associer leur produit à une action, un sentiment ou une idée qui nous sont chers dans le but « ultime » de nous faire croire que le vide ainsi crée sera comblé par le passage en caisse.


Exemple : j’aime X. Le produit Z est très X. Donc j’aime (et j’achète) Z. Pavlovien et génial détournement ! Comme dans la mafia, les amis de mes amis sont mes amis. C’est grossier, cousu de fil blanc, mais ça marche ! Cette pratique, aujourd’hui devenue science, a un nom : la réclame. Pour ceux qui trouvent le nom vieillot, on peut dire aussi publicité (ou pub), communication (ou com) ou marketing (ou…). Nulle raison donc que les épiciers des nouvelles technologies se privent d’un outil aussi puissant qui a depuis longtemps fait ses preuves.
Ainsi, certains s’en tiennent aux recettes aussi éculées que le plus vieux métier du monde (« l’impression XXXXL » pour les accros au Viagra, avec une pulpeuse blonde aux formes laitières épanouies), d’autres tentent le jeunisme avec des slogans Total choc pour des produits « Total Web » et « Total fun », le tout présenté par un Total crétin sur son skate, sans doute en train de surfer. Et d’ajouter en base line : « Inspiration becomes reality ».
Eurêka ! Pour toucher des créatifs utilisateurs de logiciels et matériels informatiques, il faut parler création, imagination. S’approprier ce qui est l’essence même de notre passion (et notre gagne-pain). Sous-entendre que les muses volages ne viendront papillonner à coup sûr autour de nous qu’attirées par le miel inspirant de l’application Tartempion. Que l’hiver est rude et que seules les fourmis câblées survivront quand la bise sera venue : « Nous créons un nouvel Internet. Et vous que créez-vous ? » L’angoisse. Rien. Rien, je ne crée rien du tout. Je suis nul. J’ai encore une ligne analogique. Mon corps livide et gelé m’apparaît soudain enseveli sous une épaisse couche de glace, prisonnier du lac Technologie, dans le froid charnier translucide et figé des inutiles parias de la Sainte Création. Au-dessus de ma tête, sous un ciel bleu, patinent joyeux les élus du Réseau des réseaux au son riant des cloches et de Jingle Bells.

Les artistes sont angoissés, c’est bien connu. La peur et la culpabilité les tendront comme des arcs jusqu’à la rupture. S’ils craquent, ils achètent : « La seule limite est votre imagination. » La moitié des logiciels et instruments électroniques de musique fait appel à cette notion. Il croyait être le Mozart du IIIe millénaire, il rêvait d’une symphonie céleste, il acheta un séquenceur Truc et un synthétiseur Muche et s’effondra, les ailes brisées à l’écoute de son piètre résultat. La limite était atteinte : trahi par son imagination anémique, jamais il ne serait musicien. Ou pas tout de suite, ou pas avec cette marque… Et si l’acte de non-achat devenait péché, meurtre, homicide, infanticide ? « Ne tuez pas vos créations », nous sermonne-t-on pour nous vendre un écran. La non-utilisation de ce moniteur, outre que nos créations ne mettront pas dans le mille, se transforme en non-assistance à personne en danger, en l’occurrence nos propres bébés. Au cas où l’intimidation ne suffirait pas, la même publicité en remet une couche de paternalisme initiateur : « Découvrez le sens des nuances. » Arrêtez d’êtres des balourds sans finesse, des bœufs mal dégrossis, devenez des apprentis studieux, sages et dociles. Le sens des nuances, c’est à droite, avant la sortie. Cartes Bleue pas en dessous de quinze euros.
La liste semble sans fin : on nous encourage avec « go create », on nous ordonne « invent », on nous vend de l’ « inspiration technology », on nous invite avec « extend », on nous promet avec « imaging across networks », le tout en américain impérialiste, ça sonne mieux. « Fuck ! Fuck ! Fuck ! », a-t-on envie de répondre dans la même langue. Nous en avons tous assez. Alors, certains en profitent : « No bullshit ! ». En français dans le texte : « Pas de blabla ! » Donc, que tous les gens pas dupes de perversion de la publicité se lèvent et achètent ce logiciel. C’est un soft de rebelles.
Comprenons-nous bien. Ce ne sont ni les marques ni leurs produits – que nous utilisons tous au quotidien d’ailleurs… – que je mets ici en cause. Simplement le discours marketing. Les travaux forcés de la création sont un mensonge. Ne nous laissons plus apostropher. N’acceptons plus les ordres d’autoritaires publi-gourous arrogants qui ignorent et méprisent ce(ux) dont ils parlent.
Crée ou crève ?

Je ne marche plus.

1 commentaire:

  1. vous êtes assez violent mais c'est tout à fait justifié car il y a bien manipulation de masse et décervelage généralisé. J'en rajouterai une couche, pour les récalcitrants, il y a l'obsolescence programmée.. histoire de faire tourner les usines et tant pis pour les déchets. Une société qui s'opposerait à cela s'opposerait frontalement au système capitaliste dans la mesure où la production des usines baisserait de manière très importante et les bénéfices également. Donc écologie ne rime pas avec capitalisme... considérez que la réclame n'est qu'un des pendants de tout un système. Si vous condamnez la réclame alors probablement vous condamnez également tout le reste. Je trouve bien plus intéressant le son du vent ou celui des pierres frappées ou des galets qui oscillent sur des plaques, donc je suis ce que vous faites... amicalement , pascal

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